Note SGEC/2011/723 du 06/07/2011
DESTINATAIRES : Commission Permanente Directeurs diocésains
Mesdames, Messieurs, Chers amis,
De récentes interventions de toute nature (politique, administrative, …) ont marqué l’actualité récente autour des questions relatives à la laïcité et aux signes religieux. La présente note a pour objet :
- de préciser la réglementation applicable aux établissements d’enseignement privé et relative à trois questions :
- La loi de 2004 encadrant le port de signes religieux dans les écoles publiques, • La loi de 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public,
- La présence des crucifix dans les établissements d’enseignement privé associé à l’Etat par contrat centre d’examens.
- et de recommander aux chefs d’établissement une ligne de conduite permettant à la fois le respect des principes et des lois relatives à laïcité, mais aussi des principes et des lois relatives à la liberté d’enseignement, les uns ne pouvant, en aucun cas, annuler ou réduire la portée des autres.
Réglementation applicable aux établissements d’enseignement privé
1. PRINCIPE GÉNÉRAL
Il convient d’apprécier la conduite à tenir, essentiellement, au regard de la loi Debré du 31 décembre 1959. Rappelons que celle-ci garantit le « caractère propre » des établissements privés associés à l’État par contrat. Hormis le contrôle pédagogique (« l’enseignement placé sous le régime du contrat est soumis au contrôle de l’État ») et financier, la loi de 1959 accorde une très grande liberté aux établissements pour tous les autres aspects de la vie et du fonctionnement de ces établissements. Bien plus, le Conseil Constitutionnel a conforté cette garantie du caractère propre enfaisant de la liberté d’enseignement un principe constitutionnel (CC 23 novembre 1977 et 18 janvier 1985), récemment rappelé par la décision du 22 octobre 2009. Cette loi et ce principe constitutionnel ne sauraient être remis en cause par les lois récentes sur les signes religieux. En conséquence, aucun texte réglementaire, de quelque nature que ce soit, ne peut contraindre le « caractère propre » des établissements associés. C’est dans ce cadre général que doivent être analysées les 3 situations suivantes :
- La loi de 2004 encadrant le port de signes religieux dans les écoles publiques
- La loi de 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public
- La présence des crucifix dans les établissements d’enseignement privé associé à l’État par contrat centre d’examens.
2. LA LOI DE 2004 ENCADRANT LE PORT DE SIGNES RELIGIEUX DANS LES ÉCOLES PUBLIQUES
La loi 2004-228 du 15 mars 2004 « encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics » ne s’applique pas aux établissements d’enseignement privé, associés à l’État par contrat.
L’inapplicabilité de ce texte aux établissements privés ressort du titre de la loi lui-même et de son article 1 créant l’article L141-5-1 du code de l’éducation : « Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. »
Cette loi ne s’applique donc qu’aux établissements scolaires publics
Aucun texte réglementaire, aucune disposition ou injonction administrative ne peuvent contrevenir à cette règle de nature législative. De même, toute mesure qui viserait à interdire le port de signes par des parents participant à l’encadrement d’activités pédagogiques (sorties scolaires par exemple), ne serait pas applicable aux établissements d’enseignement privé.
Le règlement intérieur de l’établissement, établi sous la responsabilité du chef d’établissement, peut prévoir des dispositions encadrant le port des tenues vestimentaires dans l’établissement. On veillera, dans nos établissements, à ce que ces éventuelles dispositions respectent, et le caractère propre de nos établissements, et la liberté de conscience des membres de la communauté éducative.
3. LA LOI DE 2010 INTERDISANT LA DISSIMULATION DU VISAGE DANS L’ESPACE PUBLIC
La loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 « interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public » ne s’applique pas aux établissements d’enseignement privé, associés à l’Etat par contrat. Cette inapplicabilité ressort du titre de la loi lui-même et de son article 2, alinéa I : « I. Pour l’application de l’article 1er, l’espace public est constitué des voies publiques ainsi que des lieux ouverts au public ou affectés à un service public. » Or les établissements d’enseignement privé associés à l’Etat ne sont ni des lieux ouverts aux publics, ni des lieux affectés à un service public.
En effet, la jurisprudence a défini la notion de lieu ouvert au public comme étant un « lieu accessible à tous, sans autorisation spéciale de quiconque, que l’accès en soit permanent ou subordonné à certaines conditions » (TGI de Paris du 13 octobre 1986, confirmé par la Cour d’appel), ce qui n’est pas le cas des établissements privés associés qui sont des lieux privés dans lesquels l’accès est toujours subordonné à l’autorisation du chef d’établissement.
D’autre part, si les établissements d’enseignement privé associé à l’État par contrat participent au service public d’éducation, ils ne sont pas, au sens juridique de ces termes, des établissements affectés au service public (Conseil d’État N° 162264 du 4 juillet 1997).
Le règlement intérieur de l’établissement, établi sous la responsabilité du chef d’établissement, peut prévoir des dispositions encadrant le port des tenues vestimentaires dans l’établissement. À ce titre, et indépendamment de toute expression religieuse, il est recommandé que ces règlements intérieurs prévoient la nécessité, pour tous les membres de la communauté éducative, d’être immédiatement reconnaissables et donc l’interdiction de la dissimulation du visage.
4. LA PRÉSENCE DES CRUCIFIX DANS LES ÉTABLISSEMENTS D’ENSEIGNEMENT PRIVÉ ASSOCIÉ À L’ÉTAT PAR CONTRAT LORS D’EXAMENS
Aucune mesure réglementaire, ou injonction administrative ne peut contraindre un chef d’établissement à ôter des salles d’un établissement privé qu’il dirige les signes religieux manifestant le « caractère propre » de l’établissement. En effet, faire peser sur les établissements d’enseignement privé associé à l’État par contrat une telle contrainte revient, pour l’autorité publique, à s’affranchir des principes mêmes de la loi Debré et à en contredire non seulement la lettre mais aussi l’esprit.
En effet, le législateur, tout en permettant l’association à l’État par contrat des établissements d’enseignement privé qui le souhaitent, a tenu à limiter strictement le contrôle de l’État sur ces établissements au seul enseignement dispensé aux élèves.
Après avoir défini, en son article 1, codifiés L 141-2, L 442-1, L 151-1, le principe de la liberté d’enseignement, la loi Debré dispose que seul l’enseignement placé sous le régime du contrat est soumis au contrôle de l’État, l’établissement conservant son caractère propre : « Suivant les principes définis dans la Constitution, l’État assure aux enfants et adolescents, dans les établissements publics d’enseignement, la possibilité de recevoir un enseignement conforme à leurs aptitudes, dans un égal respect de toutes les croyances. L’État proclame et respecte la liberté de l’enseignement et en garantit l’exercice aux établissements privés régulièrement ouverts.
II prend toutes dispositions utiles pour assurer aux élèves de l’enseignement public la liberté des cultes et de l’instruction religieuse.
Dans les établissements privés qui ont passé un des contrats prévus aux articles L 442-5 et L 442- 12, l’enseignement placé sous le régime du contrat est soumis au contrôle de l’État. L’établissement, tout en conservant son caractère propre, doit donner cet enseignement dans le respect total de la liberté de conscience. Tous les enfants sans distinction d’origine, d’opinions ou de croyance, y ont accès. »
Ainsi, la loi Debré n’est pas une loi de contrainte, mais bien une loi de liberté. Ce qui n’a pas été soumis, par le législateur, au contrôle de l’État relève donc de la liberté de l’établissement sous la responsabilité du chef d’établissement. Ce vaste secteur appelé communément « vie scolaire » englobe toute la vie et la réalité de l’établissement, à l’exclusion du strict espace de l’enseignement.
C’est ainsi que le chef d’établissement est responsable de la définition du règlement intérieur de l’établissement comme de l’organisation et de l’aménagement des locaux, les seules réserves pouvant s’appliquer relevant de la seule réglementation relative à la sécurité et à la prévention des risques d’incendie.
L’organisation d’examens dans les locaux d’établissements d’enseignement privé associé à l’État par contrat se fait à la demande des autorités académiques de l’Éducation nationale qui ne peuvent méconnaitre le « caractère propre » de ces établissements qui ne sont pas soumis au principe de neutralité du service public.
De plus, la loi du 15 mars 2004 encadrant le port des signes religieux par les élèves dans les établissements scolaires publics et sa circulaire d’application confortent cette analyse.
En effet, la loi du 15 mars 2004 ne concerne que les établissements publics d’enseignement. Les établissements d’enseignement privé associés à l’État par contrat, et leurs élèves, sont placés hors du champ d’application de la loi. Si tel est le cas, c’est parce qu’il n’a pas paru souhaitable, ni probablement possible sur le plan juridique, d’imposer, au nom du principe de laïcité, l’interdiction prévue par la loi aux élèves d’un établissement à « caractère propre ». S’il en va ainsi des usagers du service, il en va, à plus forte raison, de l’établissement lui-même dont la loi reconnait et garantit le « caractère propre ».
La circulaire du 18 mai 2004, prise pour l’application de la loi du 15 mars 2004, prévoit en outre que l’interdiction prévue par la loi « ne s’applique pas non plus aux candidats qui viennent passer les épreuves d’un examen ou d’un concours dans les locaux d’un établissement public et qui ne deviennent pas de ce seul fait des élèves de l’enseignement public ». Si les élèves ne sont pas tenus de renoncer au port d’un signe religieux lorsqu’il passe un examen dans un établissement public, il ne peut qu’en résulter, a fortiori, qu’une telle obligation dans un établissement privé, dont le « caractère propre » est garanti par l’État, ne peut être envisagée.
Enfin, l’imposition du retrait des crucifix dans les salles des établissements d’enseignement privé dans lesquelles se déroulent des épreuves d’examens et concours, par voie de circulaire signée des recteurs ou des inspecteurs d’académie constituent un excès de pouvoir pour au moins deux raisons :
- Le recteurs, et à plus forte raison, les inspecteurs d’académie, ne sont pas dotés du pouvoir réglementaire, c’est-à-dire du pouvoir de poser des normes à caractère général et impersonnel. Ce pouvoir appartient, sauf dans des cas bien déterminés, au seul premier ministre en vertu de l’article 21 de la Constitution, ce que le Conseil d’État confirme par une jurisprudence constante.
- En second lieu, les recteurs, et à plus forte raison les inspecteurs d’académie, ne disposent d’aucun pouvoir de police à l’intérieur de l’établissement scolaire privé, celui-ci appartenant exclusivement au chef d’établissement. Et, dans le cas particulier qui nous intéresse, – c’est-à-dire en cas d’examen dans un établissement privé -, cette affirmation est renforcée par le fait que le chef d’établissement privé est reconnu par les textes comme le chef de centre d’examen pour les épreuves qui s’y déroulent.